Un beau souvenir d'intervention
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Un beau souvenir d'intervention
Je livre ici un de mes jolis souvenirs d’intervention. Je précise qu’il n’y a aucun caractère raciste ; j’ai seulement essayé de retranscrire un accent pour rendre toute l’authenticité de la situation.
Il se passe entre les années 1977 à 1981. C’était un 31 décembre et j’étais chef d’agrès (chef d’engin) au VSAB (Véhicule de Secours aux Asphyxiés et Blessés). La période des fêtes de fin d’année était pour nous tous, en compagnies opérationnelles, un moment d’activité particulière : chaque type d’intervention pouvait aller du plus humoristique au plus tragique.
A cette époque, au plan des secours médicaux, la couverture n’était pas celle que l’on connaît aujourd’hui. Au BMPM, nous assurions toutes les urgences médicales et secours à personnes par les VSAB et deux médecins :
- le médecin de garde H24, avec un véhicule 404 Peugeot commerciale (VLMG : Véhicule Léger du Médecin de Garde) ;
- le médecin de corvée, d’astreinte à domicile, activé dès lors que le médecin de garde était engagé ; il disposait d’un véhicule de même type (VLMC : Véhicule Léger du Médecin de Corvée).
Il pouvait arriver fréquemment que les deux médecins soient engagés simultanément.
Ce soir-là, le 31 décembre, nous n’avions pas revu la caserne depuis la matinée ; nos interventions avaient commencé juste après la prise de fonction à 8 heures. J’ai toujours eu la réputation de « chat noir » pour les interventions. Pour exemple, j’ai détenu le record de 32 sorties en 24 heures ; pour les férus de statistiques, le nombre d’interventions réelles n’est pas assujetti au nombre de sorties : faux appels, appel non motivé, etc. Mais, à chaque départ, la rapidité et le stress sont toujours les mêmes.
Ma réputation de « chat noir », en tant que chef d’engin, était telle qu’il y avait deux catégories de mes collègues qui, au vu du tableau d’incendie, s’exprimaient ainsi en voyant que j’étais le chef d’agrès :
- « Oh Put… ! …on va encore en chi.. ! » pour les uns,
ou alors :
- « Put… ! …on va bouger aujourd’hui ! » pour les autres.
Cette réputation m’a suivie et s’est renforcée tout au long de ma carrière, avec ceux qui étaient heureux d’être de garde avec moi et ceux…qui priaient pour n’être plus avec moi : chat noir tu es…chat noir tu resteras.
Ce jour là, vers 22 heures, nous rentrions à notre caserne, toujours en alerte. A l’époque, notre régime était le 48/24 : 48 heures de service et 24 heures de repos. Le premier jour était toujours de premier départ et intense, mais le deuxième jour pouvait être aussi intense.
N’ayant rien mangé ni bu depuis notre départ, nous faisions vite le sandwich habituel, alliant tout le menu de l’équipage à midi : frites, steak, petit Kiri…et une banane dans la poche. Eh oui ! C’était la meilleure façon de ne pas repartir le ventre vide à la prochaine alerte.
Notre journée avait déjà été très soutenue et difficile en intervention : accidents de circulation avec plusieurs blessés et morts, accidents cardiaques que nous n’avions pu réanimer…
A cette heure, au 31 décembre, commençaient ce que nous appelions « les blessés par huîtres ». En effet, les libations commençaient dans les foyers et l’ouverture des huîtres occasionnait nombre de coupures profondes à chaque fin d’année.
Notre « sandwich » était à peine englouti que l’alerte résonnait à nouveau. Je me rendais en courant au standard pour prendre mon ordre de mission : « Accouchement ».
L’état-major me faisait savoir que nous partions seuls, car les deux médecins étaient déjà engagés ; dès l’un libéré, on l’enverrait sur notre intervention. Sachant cela, nous croisions les doigts pour que ça ne soit pas un accouchement par le siège.
Dans notre formation et recyclage de secourisme/réanimation, l’accouchement était largement développé et nous permettait, en l’absence du médecin, d’accompagner la parturiente jusqu’à la délivrance et « clamper », par deux pinces, le cordon ombilical ; celui-ci ne pouvait être coupé que par le médecin. J’avais à mon actif, depuis mon entrée en compagnie opérationnelle, trois accouchements qui s’étaient tous bien déroulés. Mais la hantise de chacun était une présentation du bébé par le siège, face auquel, sans le médecin, nous étions démunis.
L’intervention était située dans une rue populaire que nous connaissions bien. En arrivant, nous découvrions une dame de couleur, allongée, mais très calme et souriante. Je voyais de suite qu’elle avait déjà perdue les eaux.
Me regardant avec un large sourire, elle me dit avec son accent typique et chaleureux :
- « Méssié, jé souii à terrrme, tù séé ! ».
Je lui demandais si c’était son premier bébé et elle me répondit que c’était son deuxième. J’organisais nos rôles respectifs et auscultais la personne ; le col de l’utérus était déjà complètement dilaté et je distinguais déjà le sommet du crâne du bébé : Ouf ! ça n’était pas « un siège » ! Je l’annonçais à l’équipe et les visages s’éclairèrent.
La dame restait calme et détendue ; elle poussait à chacune de mes sollicitations et le bébé fut rapidement dans mes mains : un beau gros bébé, un garçon, qui criait et respirait bien. Je l’annonçais à sa mère et lui posait son bébé sur son ventre. La dame, épuisée, était toujours aussi souriante.
Je posais les deux pinces pour « clamper » le cordon ombilical et l’équipe s’occupait de conditionner la personne et son bébé. J’appelais l’état-major pour savoir si un médecin se rendait sur notre intervention ; les deux médecins étaient toujours engagés et nous devions transporter la maman et son bébé à l’hôpital. Je l’annonçais à la maman et à l’équipe.
La maman restait souriante et me dit :
- « Merrrcii, avèèèc voouu jè suuuii trrranquiille… ».
Par précaution, je décidais de rester dans la cellule, avec la maman et le bébé, pendant le transport. Heureusement, la distance jusqu’à l’hôpital de garde était assez réduite. Le bébé se portait bien et sa maman aussi.
Nous plaisantions gentiment avec elle, quand elle me dit :
- « Cééé vooouu le chèèèf, méssièèè ? » ;
je répondis :
- « oui » ;
Elle poursuivit :
- « Cééé vooouu qui m’a accooouuchéé…vooouu séérrèèè le parrrrain dé mon fiiiis ! ».
Je répondis :
- « Merci, c’est gentil, mais nous sommes quatre à vous avoir accouchée ».
Ce à quoi elle répondit :
- « Oouii,…mé cééé vooouu qui a soorrrtii le béébé ! ..coommment tù t’appèèèle ? » ;
- « Michel » ;
- « Tù éé a quèèlle caasèèèrrrne ? ».
Je la lui indiquais.
- « Miiichèèl…jee t’envééérrrè le fèrrre-parrrt ! » ;
- « D’accord, c’est gentil ! ».
Je répondis cela, persuadé qu’elle ne l’enverrait pas, n’ayant ni mon nom, ni mon adresse. Nous la quittions à l’hôpital.
Nous fûmes engagés à nouveau immédiatement et revîmes notre caserne vers 9 heures, au matin du 1er janvier. Nous avions encore 23 heures à assurer, avant d’être sur le rang des permissionnaires…pour dormir !
L’année nouvelle continuait comme la précédente. Je n’avais aucun nouvel accouchement à mon actif.
Un matin de printemps, le vaguemestre dans sa tournée, me dit en partant :
- « tu as une jolie lettre au BSI ! ».
Ne comprenant pas, je m’y présentais et l’adjudant de compagnie me dit, en me tendant une enveloppe :
- « Je ne sais pas comment cette lettre t’ai parvenue ! »
Je regardais l’enveloppe et lisait l’adresse : « Monsieur Michel, le chef de l’ambulance des marins-pompiers qui m’a accouchée le 31 décembre 19.., chez moi au… ».
Je l’ouvrais et découvrais un faire-part : J’étais parrain et convié à la cérémonie de baptême du petit…Sylvestre, né le 31 décembre 19..
Ça ne s’invente pas et c’est un superbe souvenir !
Invité- Invité
Re: Un beau souvenir d'intervention
Tu m'étonnes !... Bravo !
Pour le courrier, la Poste fait parfois des miracles...
J'en sais quelque chose ayant travaillé, étant étudiant, dans un centre de tri pendant les congés. Il suffit parfois de quelques coups de fil aux bons endroits...
Pour le courrier, la Poste fait parfois des miracles...
J'en sais quelque chose ayant travaillé, étant étudiant, dans un centre de tri pendant les congés. Il suffit parfois de quelques coups de fil aux bons endroits...
Patrick le SCOUARNEC- Administrateur - Responsable du foyer
- Messages : 41070
Date d'inscription : 18/05/2010
Age : 77
Re: Un beau souvenir d'intervention
Tu as sans doute raison ; mais je pense plutôt que La Poste a dirigé la lettre vers le vaguemestre du BMPM, juste au vu de l'intitulé.Patrick le SCOUARNEC a écrit:Tu m'étonnes !... Bravo !
Pour le courrier, la Poste fait parfois des miracles...
J'en sais quelque chose ayant travaillé, étant étudiant, dans un centre de tri pendant les congés. Il suffit parfois de quelques coups de fil aux bons endroits...
Invité- Invité
Re: Un beau souvenir d'intervention
Oui, sinon un appel à chaque caserne...
Patrick le SCOUARNEC- Administrateur - Responsable du foyer
- Messages : 41070
Date d'inscription : 18/05/2010
Age : 77
Re: Un beau souvenir d'intervention
Magnifique souvenir, bravo à toi !
Les petites gens sont souvent les plus reconnaissantes, la preuve...
Les petites gens sont souvent les plus reconnaissantes, la preuve...
JJMM- Permanent
- Messages : 2940
Date d'inscription : 24/03/2017
Age : 75
Re: Un beau souvenir d'intervention
Bravo, c'est une très belle histoire et dieu sait que nous appréhendons toujours les accouchements, 3 à mon actif sans médecin durant ma carrière.
Malheureusement les temps changent et les gens aussi ... avant on voyait en nous des sauveteurs maintenant on nous prend de plus en plus pour le SAMU social, on nous agresse, on nous insulte, on sauve des vies et on se retrouve avec des plaintes au c.. . Il y a 2 ans environ, avec mon équipier, on a sauvé la vie d'un british en arrêt cardiaque, on l'a ramené 2 fois, c'est pour dire ... et bien ce con, quelques semaines plus tard, remis à neuf et gratis par la médecine française, il portait plainte contre nous parce qu'il nous accusait de lui avoir volé ses chaussures ... plainte classée sans suite mais quand même ... tu lui sauves la vie, il ne te dit pas merci mais il porte plainte parce qu'il a perdu ses pompes ...
Malheureusement les temps changent et les gens aussi ... avant on voyait en nous des sauveteurs maintenant on nous prend de plus en plus pour le SAMU social, on nous agresse, on nous insulte, on sauve des vies et on se retrouve avec des plaintes au c.. . Il y a 2 ans environ, avec mon équipier, on a sauvé la vie d'un british en arrêt cardiaque, on l'a ramené 2 fois, c'est pour dire ... et bien ce con, quelques semaines plus tard, remis à neuf et gratis par la médecine française, il portait plainte contre nous parce qu'il nous accusait de lui avoir volé ses chaussures ... plainte classée sans suite mais quand même ... tu lui sauves la vie, il ne te dit pas merci mais il porte plainte parce qu'il a perdu ses pompes ...
joel16- Permanent
- Messages : 4656
Date d'inscription : 18/11/2013
Age : 61
Re: Un beau souvenir d'intervention
Surtout qu'elles ont failli être funèbres...
Patrick le SCOUARNEC- Administrateur - Responsable du foyer
- Messages : 41070
Date d'inscription : 18/05/2010
Age : 77
Re: Un beau souvenir d'intervention
Tu as entièrement raison ! Je l'ai souvent constaté tout au long de ma carrière.JJMM a écrit:Magnifique souvenir, bravo à toi !
Les petites gens sont souvent les plus reconnaissantes, la preuve...
Invité- Invité
Re: Un beau souvenir d'intervention
Merci Joel pour ce témoignage. Je te rejoins pour les constatations de nos jours. J'ai eu un métier fabuleux, même si déjà les réfrigérateurs nous tombaient sur la tête dans certaines cités et nous étions barrés par des jets de pierre, feux de pneus, etc. ; mais à cette époque, nous connaissions les "chefs" de la cité et pouvions discuter et calmer la situation. Il n'y avait pas les mêmes traffics.joel16 a écrit:Bravo, c'est une très belle histoire et dieu sait que nous appréhendons toujours les accouchements, 3 à mon actif sans médecin durant ma carrière.
Malheureusement les temps changent et les gens aussi ... avant on voyait en nous des sauveteurs maintenant on nous prend de plus en plus pour le SAMU social, on nous agresse, on nous insulte, on sauve des vies et on se retrouve avec des plaintes au c.. . Il y a 2 ans environ, avec mon équipier, on a sauvé la vie d'un british en arrêt cardiaque, on l'a ramené 2 fois, c'est pour dire ... et bien ce con, quelques semaines plus tard, remis à neuf et gratis par la médecine française, il portait plainte contre nous parce qu'il nous accusait de lui avoir volé ses chaussures ... plainte classée sans suite mais quand même ... tu lui sauves la vie, il ne te dit pas merci mais il porte plainte parce qu'il a perdu ses pompes ...
Ce n'est plus le cas et je pense tous les jours à nos nouvelles générations qui oeuvrent aujourd'hui.
Invité- Invité
Re: Un beau souvenir d'intervention
Non, la personne n'avait pas les moyens pécuniaires!Patrick le SCOUARNEC a écrit:Oui, sinon un appel à chaque caserne...
Invité- Invité
Re: Un beau souvenir d'intervention
Non, la poste.
Patrick le SCOUARNEC- Administrateur - Responsable du foyer
- Messages : 41070
Date d'inscription : 18/05/2010
Age : 77
Re: Un beau souvenir d'intervention
Non, la poste dirigeait directement tous courriers à la boite postale du BMPM! ...et la coordination n'a jamais failli entre La Poste et le BMPM, dont son vaguemestre!Patrick le SCOUARNEC a écrit:Non, la poste.
Invité- Invité
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